Dans un message publié mercredi soir, Charles Michel a regretté «le traitement différencié voire diminué» de la présidente de la Commission, reléguée lors de la réunion avec Erdogan.
Trois dirigeants de haut rang, seulement deux fauteuils. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a essuyé un véritable affront, mardi, à Ankara. Lors de la réunion avec Recep Tayyip Erdogan, l’ex-ministre allemande de la Défense a été contrainte de s’installer en retrait, sur un divan, quand le président du Conseil européen, Charles Michel, et le président turc ont pris place plus loin, sur deux fauteuils proches et un peu plus en hauteur. Et ce, avant même, qu’Ursula von der Leyen ne se soit assise sur le canapé.
Dans une vidéo diffusée par les institutions européennes, on voit la présidente de la Commission leur faisant face, debout et interloquée. «Euh…», lâche-t-elle, sans qu’aucun des deux hommes ne réagisse. Elle s’installera finalement sur ce canapé. Face à elle, dans un autre divan, le ministre des Affaires étrangères de la Turquie, Mevlut Cavusoglu. Un affront supplémentaire.
Incompréhension et agacement
Cette courte séquence a déclenché mercredi une polémique à Bruxelles et sur les réseaux sociaux autour du hashtag #GiveHerASeat. Plusieurs eurodéputés y ont vu une nouvelle provocation d’Erdogan. «Ils se retirent d’abord de la Convention d’Istanbul et maintenant ils laissent le président de la Commission européenne sans siège en visite officielle. Honteux.», a tweeté la chef de file des sociaux-démocrates au Parlement européen, Iratxe Garcia Perez. Quant à la libérale néerlandaise, Sophie in’t Veld, elle a soutenu mordicus que les choix qui avaient été faits n’étaient pas une «coïncidence». Son tweet montre des photos du président turc en compagnie des deux anciens dirigeants de l’UE, Donald Turk et Jean-Claude Junker, traités sur un plan d’égalité.
Ursula von der Leyen a manifesté son incompréhension et son agacement. Mais elle n’est pas allée au-delà. Venue sur place à la demande des Vingt-Sept pour tenter d’amorcer une normalisation dans les relations entre l’UE et la Turquie, il n’était pas question pour «VDL» que la rencontre avec le président turc tourne court. Mais les propos fermes et clairs sur les droits des femmes en Turquie qu’elle a tenus après la réunion, lors de sa conférence de presse, ne sont certainement pas étrangers au «SofaGate». «La présidente von der Leyen a été surprise. Elle a décidé de passer outre et de donner la priorité à la substance. Mais cela n’implique pas qu’elle n’accorde pas d’importance à l’incident», a expliqué mercredi son porte-parole Eric Mamer. «Mme von der Leyen attend d’être traitée selon les règles protocolaires et elle a demandé à ses services de faire en sorte que ce genre d’incidents ne se répète pas à l’avenir», a-t-il ajouté, soulignant que «les présidents des deux institutions ont le même rang protocolaire». Pour Eric Mamer, c’est désormais «aux autorités turques, en charge de la rencontre, d’expliquer pourquoi il a été offert ce type de siège à Mme von der Leyen».
Selon Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE en Turquie, il ne fait guère de doute que la mise en scène a été orchestrée par Erdogan. «C’est un gage de plus donné aux religieux conservateurs turc», affirme-t-il. Le secrétaire d’État aux Affaires européennes a été très explicite, mercredi soir, sur BFMBusiness. «C’est un affront qu’on corrigera mais il ne faut pas laisser faire ce genre de choses», a-t-il déclaré, parlant d’«images qui font mal» et «montrent quelque chose d’organisé».
Charles Michel «peiné à double titre»
Alors qu’il avait gardé le silence toute la journée, Charles Michel a finalement réagi, dans la soirée de mercredi, par un long message posté sur FaceBook. «En dépit d’une volonté manifeste de bien faire, l’interprétation stricte par les services turcs des règles protocolaires a produit une situation désolante : le traitement différencié, voire diminué, de la présidente de la Commission européenne», indique le président du Conseil européen. «Les quelques images qui en ont été diffusées ont donné l’impression que j’aurais été insensible à cette situation. Rien n’est plus éloigné ni de la réalité, ni de mes sentiments profonds. Ni enfin des principes de respect qui me paraissent essentiels», ajoute-t-il.
Le président du Conseil européen affirme ensuite ne pas avoir voulu «aggraver» la situation «par un incident public» et avoir préféré «privilégier en ce début de rencontre la substance de la discussion politique que nous allions entamer, Ursula et moi, avec nos hôtes». Cette polémique l’a manifestement blessé. «Je suis peiné à double titre», admet-il. D’abord «par l’impression donnée que j’aurais été indifférent à la maladresse protocolaire vis-à-vis d’Ursula» et ensuite «parce que cette situation a occulté le travail géopolitique majeur et bénéfique que nous avons réalisé ensemble à Ankara, et dont j’espère que l’Europe récoltera les fruits».
Alors que l’Europe défend fermement l’égalité homme femme, beaucoup ont été très déçus que Charles Michel n’ait pas réagi à la situation, soit en réclamant un autre siège, soit en cédant le sien à la présidente de la Commission. «Ce n’est pas forcément simple quand on est face au président turc», souligne un diplomate. Le Conseil européen indiquait, en outre mercredi, que son président a la préséance sur la Commission pour le protocole international. «À l’étranger, le président du Conseil européen a un rang de chef d’État et la présidente a un rang de premier ministre», expliquait-on. Ce qu’a confirmé mercredi, Jean-Claude Junker. «Quand je voyageais avec Donald Tusk ou Herman Van Rompuy, j’ai toujours respecté cet ordre protocolaire», a-t-il déclaré à Politico, faisant référence aux deux anciens présidents du Conseil européen. «Normalement, j’avais une chaise à côté de celle du président du Conseil, mais parfois il m’arrivait d’être assis sur un canapé».
Les relations entre Charles Michel et Ursula von der Leyen sont bien plus crispées que la bonne entente qu’ils donnent à voir lors de leurs nombreuses conférences de presse communes. Dans l’entourage du président du Conseil européen, il est reproché à Ursula von der Leyen d’être trop présente sur les questions de politiques étrangères. Elle avait affiché la couleur dès le début de son mandat, en décembre 2019, en promettant une «Commission géopolitique». Au final, cette polémique a fait, au moins, un gagnant. Le président Erdogan qui a pu prouver, une nouvelle fois, qu’il était toujours capable d’en remontrer aux Européens. La normalisation de la relation UE-Turquie sera un long et très difficile parcours.
Source: Le Figaro