À Kaboul, le souvenir du premier régime du mouvement, imposé par la terreur, les exécutions et des interdictions multiples est encore là.
Au second jour de l’Émirat islamique d’Afghanistan, Kaboul s’interroge toujours. Les nouveaux maîtres du pays, qu’ils ont arraché au terme d’une campagne presque sans combats, eux, s’installent. Des petits groupes d’hommes barbus sont déployés à presque tous les carrefours, armes en bandoulière près de pick-up ou de Humvee saisis à l’armée afghane.
Dans la capitale toujours anxieuse, la vie reprend lentement ; la circulation demeure faible même si les commerces rouvrent leurs rideaux de fer. Selon des témoins, les passants, presque tous des hommes, pressent le pas. Certains se risquent à saluer les commandants talibans, par opportunisme ou par soulagement de voir un début de règne moins agressif que redouté. Le souvenir du premier régime du mouvement (1996-2001), imposé par la terreur et les exécutions, des interdictions multiples, de la musique, du cinéma ou des sports, de contraintes pour les femmes où les petites filles étaient forcées de rester chez elles ou de quitter l’école, est encore là. Les talibans de retour tentent de gommer ce passé de sectarisme étroit et brutal.
Au-delà des vidéos étranges devenues virales de talibans jouant dans des auto-tamponneuses ou tournant, hilares, sur un manège de biches en bois, les responsables ont publié un décret d’amnistie générale pour tous les employés du gouvernement déchu. Dans une conférence de presse, première du genre, le porte-parole taliban, Zabihullah Mujahid, apparu pour l’occasion enfin en pleine lumière, a affirmé mardi que son mouvement «désire la paix» et «garantit à la communauté internationale la sécurité des ambassades et des étrangers, y compris des Américains». «Nous sommes plus expérimentés aujourd’hui. Nous ne voulons d’ennemis, ni internes ni externes. Nous avons conquis notre liberté. C’est notre droit de gouverner notre pays selon nos valeurs et les valeurs de notre religion, comme le font les Européens.» Il a affirmé que le «droit des femmes sera respecté» et qu’elles «auraient le droit de travailler et d’étudier dans le cadre de la loi islamique», sans plus de précisions. «Ce cadre sera défini plus tard par le gouvernement».
Nous n’autoriserons aucun combattant étranger à menacer la sécurité d’autres pays depuis notre sol
Zabihullah Mujahid.
Peu avant, un responsable, Abdul Hamid Hamasi, a enjoint les médecins femmes et les infirmières de garder leurs postes, comme toutes les femmes. Tolonews, une chaîne d’information en continu afghane, les a pris au mot, remettant à l’antenne ses présentatrices, pour l’heure sans remontrances. Ces scènes et ces discours, inimaginables il y a vingt ans, laissent sceptiques sur la volonté réelle des islamistes de changer de méthode. Des arrestations ont eu lieu. Le nouveau chef des renseignements, Mawli Fatullah Madani, a affirmé qu’il s’agissait de voleurs et de pillards. Les pays occidentaux, en plus des entraves aux droits, s’inquiètent de voir l’Afghanistan redevenir un sanctuaire pour les djihadistes d’al-Qaida. «Nous n’autoriserons aucun combattant étranger à menacer la sécurité d’autres pays depuis notre sol», a promis Zabihullah Mujahid.
Préserver les droits acquis
«Les talibans ont fait beaucoup de déclarations qui, en surface, sont rassurantes. Mais les actions parleront mieux que leurs mots, et il est encore trop tôt pour se prononcer alors que les choses changent rapidement», a expliqué Rupert Colville, le porte-parole des Nations unies pour les droits de l’homme.
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Les premières réponses viendront avec la formation d’un nouveau pouvoir, toujours officiellement vacant depuis la fuite, sans en référer à personne, du président Ghani qui a plongé le pays dans plus d’inconnues encore. Selon l’agence américaine AP, les discussions étaient intenses mardi, tant à Kaboul qu’à Doha, et pourraient déboucher sur de «bonnes nouvelles dans un jour ou deux». Conduites notamment par Amir Khan Muttaqi, un ancien ministre de l’Éducation taliban, et le mollah Baradar, avec, pour l’autre bord, Abdullah Abdullah, l’ancien négociateur de Kaboul, et l’ex-président Karzaï, les tractations tourneraient sur les moyens de préserver les droits acquis ces dernières années. Zabihullah Mujahid a évoqué un «gouvernement inclusif» et «suivant parfaitement les principes de l’Émirat islamique». Mardi, le mollah Baradar est parti pour Kandahar, puis devrait rejoindre Kaboul.
La Russie voit dans ces discussions des «signes encourageants», même si Moscou estime «prématuré» d’envisager une reconnaissance unilatérale. La Turquie a salué «des messages positifs» et l’Iran, qui a également laissé ouverte son ambassade, s’est réjoui. La Chine, première à dire lundi vouloir entretenir des «relations amicales» avec les talibans, a fustigé la «terrible pagaille» laissé par Washington.
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Après deux jours de chaos, l’aéroport de Kaboul a retrouvé un certain calme permettant aux avions militaires de reprendre les vols d’évacuation. Après les États-Unis et la Grande-Bretagne, plusieurs pays, notamment l’Allemagne ou l’Espagne, ont envoyé des troupes et des appareils pour rapatrier leurs ressortissants. La France a dépêché deux avions ainsi que des forces spéciales. Les premiers rapatriés français sont arrivés mardi après-midi à Paris.
Source: Le Figaro