La présidente de la Commission et le président du Conseil européen ont, pourtant, été invités par certaines capitales, Paris et Berlin notamment, à mettre un terme à leur différend.
Près de trois semaines après l’incident d’Ankara, Ursula von der Leyen et Charles Michel sont venus s’expliquer lundi 26 avril devant le Parlement européen. Le rendez-vous était attendu avec une certaine fébrilité par les eurodéputés, tant les relations entre les deux dirigeants de l’UE se sont dégradées depuis leur déplacement en Turquie et la diffusion de cette vidéo dans laquelle on voit «VDL» debout face au président du Conseil européen et au président turc, Recep Tayyip Erdogan, déjà assis confortablement sur leur fauteuil, puis reléguée sur un divan lors des discussions.
Durant ce débat consacré aux relations UE-Turquie et au dernier Conseil européen, la présidente de la Commission a choisi de faire la part belle à cette affaire qu’elle n’a manifestement toujours pas digérée. «Je suis la première femme présidente de la Commission européenne et je souhaitais être traitée comme présidente de la Commission. À Ankara, cela n’a pas été le cas. Il n’y a pas de justification à cela dans les traités européens. C’est arrivé parce que je suis une femme», a-t-elle lancé d’emblée. «Je me suis sentie blessée et seule en tant que femme et en tant qu’Européenne», a-t-elle ajouté. Ces propos ont créé la stupéfaction parmi certains eurodéputés. «Elle a kidnappé le débat sur la Turquie», regrette-t-on à la présidence d’un groupe parlementaire.
Désireuse de se faire le porte-voix des difficultés rencontrées par les femmes, «VDL» a rappelé les nombreux défis que doit encore relever l’Europe en matière d’égalité entre les hommes et les femmes. Elle s’est longuement exprimée sur la convention d’Istanbul, dont la Turquie souhaite se retirer. «Le respect des droits des femmes doit être un préalable à la reprise du dialogue avec la Turquie, mais il est loin d’être le seul préalable», a-t-elle assuré, sans craindre de compliquer davantage les difficiles négociations en cours entre l’UE et la Turquie. La présidente de la Commission européenne a, par ailleurs, appelé les États membres de l’UE à ratifier cette convention, car «les violences faites aux femmes et aux enfants sont un crime et il doit être puni».
Le vrai scandale à Ankara, c’est assez peu de savoir qui est assis sur un canapé ou un fauteuil. Ce sont les violations des droits de l’homme qui y sont commises, les attaques contre les droits des femmes. Face à ce scandale, j’aimerais que l’Europe se demande un peu moins où elle s’assoit et un peu plus comment elle doit rester debout. »
Nathalie Loiseau, eurodéputée Renew
Comme il l’avait déjà fait, Charles Michel a exprimé ses «regrets». «Nous nous sommes engagées, Ursula von der Leyen et moi-même, à ce que cette situation ne puisse plus se reproduire», a-t-il promis, désireux de tourner au plus vite la page de cette affaire qui a abîmé son image. Très attaqué par plusieurs eurodéputés et dans un souci d’apaisement, le président du Conseil européen a eu à cœur de donner des gages aux femmes. Il a ainsi promis de faire pression sur les États membres pour qu’ils adoptent la directive sur la présence des femmes dans les Conseils d’administration et qu’ils réduisent les inégalités de salaires entre les hommes et les femmes. Il a même fait mention de la convocation d’un sommet consacré à l’égalité des genres avec, à la clé, la création, au sein du Conseil, d’une instance dédiée à ces questions. «Cette instance est une demande de longue date des eurodéputés libéraux», explique-t-on dans les rangs de Renew. Charles Michel est ensuite revenu à «la substance», à savoir l’avenir des relations entre l’UE et la Turquie, sujet crucial s’il en est.
«Pas la priorité du moment»
Si certains eurodéputés ont exprimé leur soutien sans faille à Ursula von der Leyen pour l’affront subi à Ankara, d’autres ont regretté les proportions prises par cette affaire. «Le vrai scandale à Ankara, c’est assez peu de savoir qui est assis sur un canapé ou un fauteuil. Ce sont les violations des droits de l’homme qui y sont commises, les attaques contre les droits des femmes. Face à ce scandale, j’aimerais que l’Europe se demande un peu moins où elle s’assoit et un peu plus comment elle doit rester debout», a tancé l’eurodéputée Nathalie Loiseau. «La mission à Ankara devait être un message de force. Elle a été celui de la faiblesse», a déploré l’Allemand Manfred Weber, le chef de file des eurodéputés PPE (droite proeuropéenne). Pour certains, la présidente de la Commission livre là un combat qui risque, à terme, de la fragiliser au Parlement européen. «De nombreux textes sur le climat vont arriver sur lesquels il sera très difficile de dégager une majorité. C’est sur cela qu’elle doit se concentrer», prévient-on.
Les messages directs et indirects des capitales, notamment de Paris et Berlin, se sont multipliés ces derniers jours afin de convaincre indifféremment «VDL» et Michel de mettre un terme à leur différend. «Il leur a été dit que ce n’était pas la priorité du moment de continuer cette bataille», tranche un diplomate européen. Ces requêtes semblent ne pas avoir totalement infusé à ce stade. «Pour le sommet sur le climat avec Biden, ils ont passé un temps fou pour savoir qui allait dire quoi», poursuit ce diplomate. Le «sofagate» laissera forcément des traces entre les deux dirigeants de l’UE qui vont toutefois devoir travailler ensemble pour quelques années encore. Jusqu’à fin novembre 2024.
Par Anne Rovan
Source: Le Figaro