Il a fallu trois années et la collaboration des polices de plusieurs pays pour parvenir à une opération de cette ampleur contre le crime organisé : des centaines de personnes ont été arrêtées à travers le monde, a annoncé, mardi 8 juin, la police fédérale australienne grâce au noyautage d’une application de communication utilisée par les malfaiteurs.
Lors de l’opération, présentée comme « la plus sophistiquée du monde », contre le crime organisé, les polices des Etats-Unis, d’Australie, de Nouvelle-Zélande et de plusieurs pays d’Europe ont révélé qu’elles contrôlaient en fait l’application baptisée « AN0M », dont se servaient des malfrats du monde entier pour échanger de façon cryptée.
L’opération – nommée « Ironside » en Australie et « Bouclier de Troie » dans le reste du monde – a permis aux enquêteurs de seize pays d’observer des membres de la mafia, de syndicats criminels asiatiques ou encore de gangs de motards hors la loi qui échangeaient sur des ventes de stupéfiants, des activités de blanchiment d’argent ou même des projets d’assassinats. Au total, ce sont au moins 800 suspects qui ont été interpellés dans le monde entier, selon Europol.
Une opportunité apparue en 2018
Selon un document judiciaire américain rendu public lundi soir, cette opération a été permise par l’arrestation, en 2018, de Vincent Ramos, le président-directeur général (PDG) de l’entreprise Phantom Secure, qui vendait des téléphones chiffrés à des organisations criminelles. Après son inculpation, Phantom Secure a été fermée et le FBI a « recruté » une source humaine, qui a confié aux autorités avoir développé un système de messagerie chiffrée destiné aux réseaux criminels, et a proposé au FBI d’utiliser secrètement cette infrastructure technique.
Les autorités fédérales américaines ont ainsi lancé en octobre 2018 le service AN0M, en collaboration avec plusieurs autorités policières mondiales. Ces appareils, dont les données étaient censées être chiffrées et donc impossibles à intercepter pour les autorités, n’autorisaient que l’envoi de messages, et ne pouvaient que s’acheter qu’au marché noir. Les messages étaient bien chiffrés, mais le FBI disposait d’une « clé maître » capable de déchiffrer n’importe quelle conversation. Ainsi, tous les messages transitaient, sans que les utilisateurs le sachent, sur des serveurs opérés par les forces de l’ordre, où ils étaient déchiffrés et analysés. Cette infrastructure technique a en partie été développée par la police australienne.
Le FBI et ses partenaires sont parvenus à encourager, dans plusieurs pays, les malfaiteurs à recourir au téléphone chiffré AN0M. Lors d’une première phase de test, selon un document judiciaire américain, trois anciens distributeurs de Pantom Secure ont accepté de vendre les nouveaux téléphones AN0M à des réseaux criminels. « Plus de 12 000 téléphones chiffrés ont été utilisés par plus de 300 organisations criminelles » dans le monde, a annoncé mardi le directeur adjoint des opérations d’Europol, Jean-Philippe Lecouffe. L’Allemagne, la Serbie, l’Australie, l’Espagne et les Pays-Bas ont été les pays où ces téléphones ont été les plus utilisés, selon les autorités américaines. En promouvant l’utilisation des téléphones AN0M par les réseaux criminels, les forces de l’ordre sont parvenues à intercepter et traiter plus de 17 millions de messages en dix-huit mois, a assuré Europol.
« Influenceurs criminels »
Des médias australiens rapportent que les policiers ont procuré ces téléphones à des suspects connus, y compris à un Australien recherché pour trafic de drogue et en cavale en Turquie. « Un criminel devait connaître un autre criminel pour obtenir ce matériel », a expliqué la police australienne dans un communiqué.
« Les appareils ont circulé et leur popularité a grandi parmi les criminels, qui avaient confiance dans la légitimité de l’application, car de grandes figures du crime organisé se portaient garantes de son intégrité », a-t-elle poursuivi.
« Ces influenceurs criminels ont mis la police fédérale australienne dans la poche revolver de centaines de délinquants présumés », s’est félicité le chef de la police australienne, Reece Kershaw, dans le communiqué. « Finalement, ils se sont passé les menottes les uns aux autres en adoptant et en faisant confiance à AN0M et en communiquant ouvertement avec, sans savoir que nous les écoutions », a-t-il ajouté.
La chute d’autres réseaux de téléphones chiffrés vendus aux réseaux criminels, comme Sky Global et Encrochat, qui ont été interceptés par les autorités de plusieurs pays en 2020 et 2021, a également permis d’accélerer la promotion d’AN0M auprès des organisations de malfaiteurs. « La fermeture de ces deux plates-formes de communications cryptées avait créé un vide sur le marché », a expliqué la police néo-zélandaise.
Six laboratoires de fabrication de drogue fermés
Rien qu’en Australie, 224 personnes ont été arrêtées lors de cete opération, qui, selon le premier ministre australien, Scott Morrison, « a infligé un coup dur au crime organisé, non seulement dans ce pays, mais qui aura un écho dans le monde entier ». Les suspects australiens sont désormais inculpés de plus de 500 chefs d’accusation ; six laboratoires de fabrication de drogue ont été fermés ; quantité d’armes et 45 millions de dollars australiens (29 millions d’euros) en liquide ont été saisis.
En Suède, 70 suspects « ayant des rôles essentiels et une grande influence dans le trafic de drogue » ont été arrêtés, a annoncé mardi la directrice du renseignement de la police suédoise, Linda Staaf, au cours d’une conférence de presse. Son homologue néo-zélandaise a pour sa part annoncé l’interpellation de trente-cinq personnes, notamment pour trafic de drogue et blanchiment d’argent.